Panama City ne se résume pas à son célèbre canal. En vingt-quatre heures, la capitale panaméenne déroule un kaléidoscope enivrant de contrastes : coloniale et futuriste, tropicale et verticale, trépidante et contemplative. Du Casco Viejo aux gratte-ciels de l’Avenida Balboa, des ceviches du marché aux étoiles de la gastronomie locale, on navigue entre deux mondes, deux océans, deux rythmes. Une journée dense, surprenante et délicieuse, au cœur de cette ville-pont où le réel dépasse souvent la carte postale.
8h00
Petit matin sur lit d'embruns
Sur la promenade de la Cinta Costera, joggeurs, vendeurs de fruits et mouettes rieuses s’échangent les premières nouvelles du jour. Cette corniche plantée de palmiers, récemment aménagée, donne un premier aperçu du contraste saisissant entre nature et urbanité. À quelques pas, le Mercado de Mariscos, cœur battant des saveurs marines, s’anime dès l’aube. C’est l’heure du ceviche matinal – oui, même à jeun. Corvina marinée, citron vert qui chatouille les papilles, coriandre en embuscade, oignons rouges pour le croquant final – celui qui signe la bouchée. Le tout s’arrose d’un jus de maracuja fraîchement pressé. À Panama City, l’acidité réveille mieux que l’espresso, et les saveurs sont déjà celles d’un carnaval de la mer.
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10h00
Le Casco Viejo : ruelles chaudes, façades fanées et lumière dorée
Balade matinale dans l’incontournable quartier historique, entre balcons en fer forgé, églises coloniales et boutiques d’artisans. Le Casco Viejo, c’est l’âme de la ville : un tableau vivant où cohabitent hipsters barbus, nonnes en mission et vendeurs de raspados. Le passé colonial y côtoie la branchitude assumée des galeries design et des bars à cocktails. Pousser la porte de la Casa Góngora, explorer les ruelles bordées de bougainvillées, s’arrêter devant la cathédrale métropolitaine, visiter les boutiques de molas tissées par les femmes Guna. Se perdre dans le charme suranné d’un quartier sauvé des eaux – et du béton.
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12h00
Le Canal, théâtre lent des géants d'acier
Toutes les routes mènent au Canal. Monument du XXe siècle, théâtre logistique, fierté nationale. Direction les écluses de Miraflores, à une quinzaine de kilomètres du centre. Là-bas, une improbable terrasse d’observation accueille les curieux comme au théâtre : un ballet aquatique s’y déroule, hypnotique, où des porte-conteneurs titanesques sont guidés centimètre par centimètre par des locomotives électriques, le tout dans un silence presque solennel. À l’intérieur, un petit musée retrace l’histoire épique du canal, de la folie (et tragédie) française au succès américain, avant le retour de la souveraineté au Panama en 1999. Un cours de géopolitique grandeur nature, entre deux écluses. En ressortant, difficile de ne pas songer à Paul Theroux ou Joseph Conrad, qui virent déjà dans cette fine coupure du continent bien plus qu’un simple passage maritime.
13h30
Déjeuner sur les hauteurs
Cap vers le quartier de Marbella ou les flancs de San Francisco, là où la ville s’étire vers le ciel et joue à cache-cache avec les nuages. Les gratte-ciels s’élèvent comme des totems modernes, serrés les uns contre les autres, laissant filtrer la lumière entre leurs vitres miroitantes. À leur pied ou en terrasse suspendue, la cuisine panaméenne se réinvente : sancocho aux airs de dimanche, arroz con coco revisité, ceviches vifs et iodés, comme un solo de marimba. Parfois, un plat raconte une histoire : entre plátano doré et tamal fondant s’entrelacent les héritages afro-caribéen, espagnol, amérindien et chinois. Le rythme ralentit, les sons s’atténuent, le regard se perd dans les lignes tendues de la ville. Un étage plus haut, un café discret domine la baie — promontoire idéal entre jungle urbaine et horizon liquide.
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15h00
Sieste optionnelle à l'ombre
Quand le soleil atteint son zénith et que l’ombre se fait rare, l’heure appelle à la lenteur. Dans les ruelles tiédies du Casco Viejo, les pas ralentissent, les voix baissent et l’air semble s’alourdir d’une torpeur douce. Les terrasses s’emplissent d’une lumière dorée, presque liquide, où l’on vient chercher l’oubli d’un après-midi trop chaud. Dans un verre ambré glisse lentement un glaçon — parfois un seco con leche pour les nostalgiques, parfois un chicheme glacé, cette boisson crémeuse à base de maïs, de lait et de cannelle, douce comme une berceuse tropicale. Un soupir flotte, les conversations deviennent murmures. Le temps suspend sa course. Ce n’est ni tout à fait une sieste, ni tout à fait une halte : juste un moment d’ombre accordé au tempo alangui de la ville.
16h30
Jungle urbaine
Panama City, c’est aussi cela : une capitale tropicale où la nature n’a jamais vraiment abdiqué. Quelques pas suffisent pour quitter l’asphalte vibrant et s’enfoncer dans l’ombre verte du Cerro Ancón, colline préservée dominant la ville. Le sentier, réservé aux piétons, serpente sous une voûte dense de feuillages, parfumée d’humus, rythmé par les cris rauques des singes hurleurs et les appels flûtés des oiseaux tropicaux. Fougères géantes, orchidées timides, papillons aux ailes d’émail bordent le chemin. Parfois, dans le silence bruissant, un paresseux somnole, blotti entre deux branches, indifférent au tumulte du monde. Au sommet, le drapeau panaméen flotte, immense, planté dans le ciel comme une déclaration d’indépendance. Plus loin, en contrebas, les couleurs vives du Biomuseo de Frank Gehry rappellent que l’homme aussi sait dialoguer avec la nature. Ce manifeste architectural rend hommage à la biodiversité unique du Panama, corridor vivant entre deux Amériques. Le regard embrasse la baie, les cargos en file sur l’horizon, les tours miroitantes et la forêt, tout autour, indocile et souveraine. Où commence la jungle, où finit la ville ? À Panama City, la frontière entre les deux est une énigme à ciel ouvert.
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18h30
Crépuscule vertical
Redescente lente, presque à regret, vers l’Avenida Balboa, vaste artère en bord de mer où la ville vient s’aligner face à l’infini. Ici, les gratte-ciels s’élèvent comme des flammes et, à cette heure précise, chacun capte le soleil couchant à sa manière : vitres de cuivre, reflets d’ambre, éclats fugaces. Le ciel se teinte de corail et de mangue ; la lumière oblique semble redessiner la ville, plus douce, presque irréelle. Depuis la promenade, on marche lentement, comme pour accorder son souffle à celui du Pacifique. Les joggeurs ralentissent, les passants s’arrêtent. Au large, les cargos attendent leur tour dans un calme solennel. Les mouettes flottent, silencieuses, comme suspendues dans l’or du soir. C’est l’heure entre deux mondes, celle où la ville se détache de la journée comme un fruit mûr. Avant de repartir, faire un crochet par l’hôtel Central pour admirer son lobby historique, ou monter jusqu’au rooftop du Selina Casco pour prendre un dernier verre face à l’océan.
20h30
Quand la ville devient murmure
Quand la nuit tombe, Panama City ne s’éteint pas : elle s’invente autrement. Les façades du Casco Viejo s’illuminent d’une lumière chaude, presque nostalgique, tandis que les tours du centre financier scintillent comme des balises du futur. Entre les deux, un monde à vivre : musées ouverts tard, galeries confidentielles, places où l’on improvise un concert, un bal, une conversation. Parmi eux, le MAC (Museo de Arte Contemporáneo) attire les flâneurs nocturnes en quête de création locale, tandis que la Casa Casco s’allume comme un phare discret sur la ville. Sur la promenade, les familles sortent, les enfants courent, les vents marins chassent les dernières lueurs. La ville bruisse sans bruit, comme si elle avait appris à parler bas pour mieux se faire entendre. Ici, rien ne presse. Tout invite à la déambulation — entre passé colonial et vertige contemporain, entre la mémoire des pierres et la promesse des hauteurs. Panama ne se visite plus : elle se traverse et regarde repartir ceux qui l’ont habitée un instant, en souriant.
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Par
JÉRÔME CARTEGINI
Photographie de couverture : Gabriela Herman / Gallery Stock