Madagascar

Voyage insolite à Madagascar

Voyage insolite à Madagascar

A son tour, la plus grande des îles de l’océan Indien (587 041 km², plus que la France) mise sur le tourisme pour conforter son développement. Les fans de voyage insolite découvrent une Madagascar encore intact, sincère et vrai. Voilà une excellente nouvelle.

 

Madagascar a traversé sans dommage l’épreuve des élections présidentielles. Fin décembre 2018, Andry Rajoelina, un jeune homme de 44 ans, est devenu Président d’un pays de 25,6 millions d’habitant dont l’immense majorité survit avec un ou deux euros par jour alors qu’il leur en faudrait cent fois plus chaque mois pour assurer le minimum. Promis, a-t-il assuré, tout va changer : grâce à la stabilité restaurée, les investisseurs étrangers vont retrouver la confiance, les surfaces cultivées en particulier les rizières, seront multipliées, tout comme les zones franches, l’exploitation des pierres et métaux précieux va être régulée, tant pis pour les cow-boys des mines sauvages, le ciel sera ouvert à toutes les compagnies aériennes, les clubs de vacances viendront ratisser les splendides plages du pays, on va bitumer des routes, construire des ports et poser des rails de chemin de fer, les revenus des familles vont grimper… Bref, avec Andry, cap sur la belle vie.

 

Tout va bien, y’a plus qu’à

Il était temps. Depuis soixante ans d’indépendance (la France a été puissance coloniale de 1895 à 1960), la république malgache n’a cessé de balancer entre cyclones dévastateurs, au moins un par an, troubles politiques fratricides, épidémies terrifiantes, corruption, insécurité, trafics de bois de rose, de saphirs ou de lémuriens… Il semblait que les fées du ciel avaient déserté cet espace tropical pourtant doté d’un look de bijou royal. Des forêts luxuriantes, un sous-sol qu’on dit riche de tout, la preuve, les Chinois prospectent déjà, une terre avide de multiplier n’importe quel épi et une population qui ne rêve que d’améliorer son sort, quitte à jouer les petites mains dans les usines textiles installées par les Coréens ou les voisins mauriciens. Bref, tout va bien et y’a plus qu’à.

Édifice religieux

©dennisvdwater - stock.adobe.com

Depuis une éternité, l’espoir malgache est fondé sur le mythe « Nous avons tout, il suffira d’une gouvernance éclairée pour que ruisselle la prospérité ». Et il ne se passe rien, strictement rien. Alors, qu’un jeunot à l’ambition XXL et au discours high-tech remporte la présidentielle et s’entoure aussi sec d’un gouvernement resserré de 22 ministres, essentiellement des techniciens et chefs d’entreprise auxquels il donne un an pour afficher des résultats probants, c’est tout un pays qui se sent pousser des ailes. Rendez-vous donc pour un premier bilan début 2020.

 

Route cabossée percée de nids de poules

En attendant, Madagascar et ses terres rouges (compter 11 heures de vol et 2 heures de décalage horaire) s’offrent en majesté à qui veut sortir des pistes trop fréquentées. Prévoir dix jours minimum, l’œil rond tant la découverte sera dense, comme le bonheur de rencontres tout sourire, même si le cœur doit se serrer face au dénuement de certains.

Montagne et route à Madagascar

Anton Ivanov

Quelque 1 500 kilomètres séparent Diégo-Suarez, plein nord, de Fort-Dauphin, tout au sud. Quant à la fameuse Nationale 7, elle relie Antananarivo, la capitale du pays (2 millions d’habitants, mais personne ne sait vraiment) à Tuléar, soit environ 1 000 kilomètres de route cabossée, percée de nids de poules, encombrée de camions et de taxis-brousse. En guise d’élémentaire sagesse, prévoir la location d’une voiture avec chauffeur. Autant dire qu’il est impossible de tout voir en un seul voyage. Alors, quelques choix majeurs s’imposent.

 

Tananarive, bouillonnante et chaotique

Antananarivo, continuer à prononcer Tana, comme au temps de Tsiranana et des Surfs (Si j’avais un marteau), reste le passage obligé de tout programme. C’est la seule ville malgache reliée par l’avion au reste du monde. Attention, choc. Peu de visites à faire (les marchés, l’ancienne gare, les palais royaux) mais la température locale à prendre. C’est celle d’une ville bouillonnante, chaotique, à l’architecture aussi désordonnée que peu attrayante, polluée, paralysée par des embouteillages dantesques. Elle bat le pouls de Madagascar dans un ensemble de collines tapissées de quartiers miséreux. Au sommet, quelques îlots résidentiels hautement sécurisés, portail à télécommande et 4X4 rutilants aux vitres fumées. Une joyeuse mixité sociale assure pourtant l’étonnement le long des artères réservées aux affaires, mains tendues et coquettes endimanchées, cadres cravatés et vendeurs de cigarettes à l’unité. Pour le plaisir, héler un taxi, 2CV décapotée ou bien 4L mille fois raffistolée. Nostalgie des temps anciens… Les Français adorent.

 

Style local sans chichi

Pour le reste, il faut faire son choix. Ambiance grande nature, forêts somptueuses (celle de Kirindy), vallées de rizières, villages perdus, canyons vertigineux (parc national de l’Isalo), plaines à baobabs (Morondava), sentiers de randonnée (parc national de Marojejy, avec son admirable forêt primaire et ses tribus de lémuriens). Option plages, elles sont encore peu fréquentées mais, contrepartie, pas toujours dotés d’hôtels et terrasses de standing. Le style local sans chichi ajoute au charme. Viser alors Nosy Bê, en particulier les plages paisibles du nord de l’île, à moins de préférer la beauté radicale de l’île Sainte-Marie, une pépite malgache dont on espère qu’elle le restera très longtemps.

sur la plage à Madagascar

Julien Mignot

On peut bien entendu panacher entre toutes ces options selon le temps dont on dispose. Mais retenir que passer d’une région à une autre exige généralement la journée avec une vitesse moyenne sur route qui dépasse rarement les 30 à 40 kilomètres par heure.

 

Voyage côté cœur

Enfin, ne jamais hésiter à enrichir son circuit d’une halte ou deux sur les sites où sont menées des opérations de main tendue, le tourisme solidaire, comme on dit. Ce sera le plan de reforestation (eucalyptus, acacias, pins, jacarandas…) destiné à stabiliser les terres autour du lac Itasy. Son assèchement menaçait des centaines de petits paysans alentours. Ou bien le creusement d’un puit, deux puits, dix puits afin d’alimenter en eau potable chaque maison d’un village, avant de poursuivre un peu plus loin, la tâche est sans fin. Voir encore le soutien à la coopérative laitière d’Ambatomanga qui fait vivre 300 familles désormais propriétaires de leur vache, ainsi qu’à l’école voisine où quelques donateurs alimentent la bibliothèque et offrent le bloc sanitaire en état de marche.

Une beaucoup plus poignante émotion attend ceux qui poussent les portes d’un orphelinat. L’île en compte hélas une bonne centaine. Ils recueillent les bébés abandonnés cette nuit au pied d’un arbre, dans un recoin sombre, assez souvent même au milieu des poubelles. Schéma ordinaire d’une nuit sans lumière, la promiscuité ajoutée à la misère sociale, une ado violée, une grossesse forcément dissimulée, un accouchement solitaire, une solution radicale vite trouvée. Dans ces refuges, l’affection jamais comptée tente de panser des blessures qui ne guériront pas. Ici, la vie a bien mal commencé comme le racontent ces regards privés d’éclat. Voilà qui justifie un énorme câlin.

Enfants sur une plage à Madagascar

Xinhua/ZUMA/REA

Majestueuses forêts, plages somptueuses, parcs et faune sauvage de toute beauté, baobabs (ce sont des arbres sacrés, intouchables, donc naturellement protégés), lémuriens malicieux, crocodiles patauds et boas paresseux, sourire d’une population qui ne pratique que le naturel et la simplicité... Madagascar est une île aux mille trésors. A quelques nouveau-nés près. Oui, tout va changer. Pour eux, vite, vite, Monsieur le Président.

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographie de couverture : Dennisvdw/Getty Images/iStockphoto