Seychelles

Praslin, la leçon des Seychelles

Praslin, la leçon des Seychelles

D’accord, elle est miniature, 38,5 km² et 7 500 habitants, modeste pièce de l’archipel seychellois qui flotte entre Equateur et tropique du Capricorne. Mais elle est bénie par trois légendes : une plage d’exception, un fruit étonnant et une belle malice populaire. Résultat, en toute discrétion, Praslin s’impose comme l’une des étoiles de l’océan Indien.

 

Commençons par l’humour taquin des sans-grades. L’île de Praslin tient son nom de César Gabriel de Choiseul, duc de Praslin (1712-1785). Eminent diplomate et grand ordonnateur de la Marine royale, il servit Louis XV. A cette époque, conquêtes et visées marchandes poussent loin les galions et les frégates de Sa Majesté. Jusque dans l’océan Indien où Lazare Picault prend possession des Seychelles au nom de son souverain en 1744. Rien de plus simple puisque les 115 îles de l’archipel ne sont habitées que par des millions d’oiseaux et quelques centaines de tortues géantes. Le bon Lazare plante donc une croix puis un drapeau et l’affaire est entendue. Histoire d’embellir le relevé de ses cartes marine, il baptise chacune des pépites émeraude qui défilent devant le gaillard d’avant. Celle-ci rendra hommage à son ministre, après tout, il finance l’expédition. Ainsi naît Praslin, en 1768. D’autres marins mettront pied à terre et exploreront ces terres bordées de plages divines et tapissées d’une forêt primaire aussi moite que dense jusqu’à masquer le ciel. L’aventure réserve à ces curieux non seulement la surprise d’observer des perroquets intégralement noirs mais aussi d’énormes noix de coco à la forme magistralement suggestive.

Couple sur la plage de Praslin

Fesses d’un côté, ventre féminin de l’autre. Leur réalisme frise la provocation. Ils ont entre les mains le plus gros végétal connu, 50 centimètres de diamètre et une trentaine de kilos en moyenne. Pire : ils ne le savent pas encore mais cette drôle d’invention de la Nature ne pousse qu’ici, à Praslin. Entre deux clins d’œil égrillards, ils baptisent la noix « coco-fesse ». Les scientifiques diront plus doctement « coco de mer ». Tout à leur trouvaille, ils décident d’en charger quelques unités à bord afin de montrer leur trophée aux dames de la cour, histoire de les faire rosir. Mais voilà que le petit peuple de Paris, jamais en reste d’une taquinerie ridiculisant les puissants, s’empare de l’affaire. De la coco-fesse, il tire « cucul la prasline » (devenue praline) pour désigner le niais, la gourde, le nigaud. Monsieur le duc appréciera. Certes, cette version historique de l’expression n’est pas la seule en cour. Elle reste la plus séduisante quand on débarque sur le petit aéroport de Praslin, à 44 kilomètres au nord-est de Mahé, l’île capitale des Seychelles.

 

Anse Georgette

Une noix unique, une expression enchanteresse, ne manque plus qu’une plage d’exception pour compléter le palmarès d’une île qui propose pas moins de quatre hôtels 5-étoiles, une multitude d’établissements de grand charme, le seul parcours de golf 18 trous de la région et une ceinture de plages aussi divines que désertes. Dont Anse Georgette, régulièrement désignée comme « plus belle plage du monde ». Reconnaissons qu’elle a le look d’une carte postale, d’une image de magazine, d’un fond d’écran idéalisé, du rêve tropical tel qu’on l’invente sur les bancs de l’école. Son tapis de sable blanc est tendu entre deux chaos de blocs de granite, une haie de cocotiers paresseusement offerts aux caresses de la brise tiède servant de rideau de scène face à une mer dont les vagues souples et sensuelles font rouler jade clair et saphir profond… Une splendeur. Avec un baiser, tous les amoureux se promettent de revenir un jour compléter ce tableau avant de se jeter dans les rouleaux. La perfection n’étant pas de ce monde, Anse Georgette souffre toutefois de deux défauts. D’abord, elle est très difficile d’accès quand on n’est pas résident de l’hôtel Le Lémuria dont elle est la propriété. Ensuite, sa météo peut se révéler capricieuse au point que le drapeau rouge est levé pour mettre en garde contre vagues et courants à la puissance irrésistibles. Confirmation de l’ambivalence des beautés extrêmes…

détail d'arbre aux seychelles

 

Eaux cristallines et drapés de granite

La plage voisine, Anse Lazio, fournit une très acceptable alternative. Bien plus grande, tout aussi élégante, elle impose le selfie, eaux cristallines d’un côté, drapés de granite de l’autre, cocotiers et takamakas ajoutant une ombre bienvenue… Mieux, pour s’y rendre, il faut laisser voiture ou vélo en retrait, puis traverser à pied une zone de verdure qui peu à peu, dévoile sa beauté. Effet wahou garanti ! Elle aussi figure régulièrement dans le top 10 des plages capables de rendre un voyage inoubliable. Deux ombres au tableau quand même : facile d’accès, elle attire nombre de vacanciers même si la foule version seychelloise n’oblige jamais à voisiner façon Saint-Trop’ ; surtout, en 2011, un vilain requin vint barboter dans ces eaux limpides, rayant d’un coup de dent la belle image. Chacun conjuguera ses élans de baignade à l’aune de cette mémoire, rassurée par la sérénité qu’affichent les autorités touristiques locales (un filet a été installé au large). Après tout, un accident d’avion n’a jamais empêché quiconque de décoller le lendemain.

Eau transparente aux Seychelles

 

Chaudron vert

Retour sur les coco-fesses. Car les tenants de verdure ne manqueraient pour rien au monde d’aller fouler les sentiers pédestres qui sillonnent leur sanctuaire, la vallée de Mai, cocon de 1 400 cocos de mer. Dessinée au centre de Praslin, cette réserve naturelle de 20 hectares impose d’abord son atmosphère lourde, dense, humide. Jungle oppressante pour les uns, jardin d’Eden pour d’autres, gardien d’une des dernières forêts primaires de la planète pour tout le monde. Bref, la nature telle qu’elle était il y a quelques millions d’années. Cet îlot intouché abrite aussi des fougères géantes, des lataniers et autres banyans, sans oublier vanille et orchidées sauvages. Cinq sentiers très bien tracés permettent une immersion totale dans ce chaudron vert où ne manquent ni le craquement des arbres, ni le cri des oiseaux dérangés pour s’imaginer explorateur et défricheur de terres nouvelles. L’UNESCO a inscrit cet étonnant sanctuaire au patrimoine mondial. Il est bien entendu interdit de repartir avec une coco-fesse sous le bras, l’espèce étant sévèrement protégée.

Femme sur l 'île de Praslin

 

Les tortues de La Digue

Enfin, impossible de séjourner à Praslin sans avoir la curiosité de La Digue, une des îles voisines. Il est possible d’opter pour l’hélicoptère. Plus simplement, un bateau assure des liaisons rapides (50 minutes) et régulières, permettant l’excursion à la journée. Louer une bicyclette dès l’arrivée sur le petit port, histoire de savourer sans hâte le royaume de l’insouciance. Ici, rien ne presse et la seule montre de l’endroit donne l’heure du soleil puis celle de la marée. Le tout, dans une ambiance d’éternel été, short, t-shirt, sourire et poisson grillé. Le reste, on verra plus tard. En attendant, cap sur Anse Source d’Argent, une légende pour tous les photographes de mode, succession de criques le long desquelles sont fichés d’énormes blocs de granite rose ou gris. Dans leurs plis, les tops modèles font les belles. Ce ravissement invite chacun à prendre la pause avant de piquer une tête dans les eaux claires protégées par un récif. Aucune vague scélérate à redouter ici ! Encore moins lorsqu’avant d’arriver sur la plage, on a pris le temps d’une halte devant l’enclos à tortues géantes, le symbole des Seychelles, où s’ébattent quelques vénérables centenaires. Avec elles, le temps ralentit sa course. Excellente mise en condition avant de retrouver Praslin.

Le village de Grande Anse lui offre un semblant d’animation, église, distributeur d’argent, supérette, poste de police, infirmerie, épicerie-bistro. Pousse alors l’envie d’une autre vie. Après tout, ces gens dont les visages racontent tous les métissages de l’océan, la cadre enchanteur des bords de mer inspirés, la météo invariablement douce entre Equateur et tropique du Capricorne, des valeurs assumées privilégiant la simplicité, le spectacle du soleil qui chaque soir jette le cuivre, le pourpre et le feu sur la ligne d’horizon, la causette du retour de pêche, les histoires de pirates qu’on raconte aux enfants, la promenade à l’abri de la cocoteraie… On appelle cette tentation la leçon de Praslin. Un autre monde ? A moins que ce soit le vrai monde.

 

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographies

MARCUS VOGEL