Italie

Palazzo Paradiso

Palazzo Paradiso

La mer cristalline, la côte grandiose, des champs d'oliviers à perte de vue, le Salento, en pleine région des Pouilles, est de ces terres qui ne s'oublient pas, habitées d'un charme à l'état brut, d'un art de vivre incomparable. Un joyau de la pointe sud-est de la botte italienne, où se dresse l'admirable ville baroque de Lecce. C'est dans ce bout d'Italie, sous les morsures du soleil, que Thierry Teyssier, hôtelier inspiré et créateur d'expériences, a posé les malles de son nouveau concept 700 000 heures. Voyageurs du Monde a testé.

“Bienvenue dans ma folie”, s’exclame Thierry Teyssier au moment de nous voir détaler en sueur mais tout sourire dans une crique des contrebas de Santa Maria de Leuca. Le soleil commençait à décliner sur l’horizon. On nous avait prévenus de changer de chaussures, nous avions crapahuté entre cactus et rochers pour atterrir sur ces roches plates sur lesquelles nous attendait un apéritif grandiose. Pas de nappes ni de plaids jetés au sol. Pas même de paniers de pique-nique, mais un salon entier composé de malles-banquettes et d’une malletable réalisées sur mesure au Maroc sous les directives de Thierry. Dans ces malles aux multiples usages, il apporte le confort là où personne ne l’aurait imaginé. “Salute, cheers, tchin-tchin”, nous trinquons au gin et grignotons quelques amandes, du parmesan et des mini-tarallini (spécialité locale addictive à base de pâte salée) en nous disant tout de même qu’on a de la chance.

 

italienne qui cuisine

 

Nous venions d’arriver dans les Pouilles. Depuis l’aéroport de Brindisi, nous avions roulé une petite heure. “Si vous voulez profiter de la route, passez par Otrante et la route de la corniche. Un peu plus long mais une incroyable vue”, nous avait envoyé Thierry à la sortie de l’avion. Nous roulions tranquillement que déjà Eros Ramazzotti s’égosillait sur son tube planétaire : “Se bastasse una canzone ” à fond dans la Cinquecento. L’air était chaud. Les buissons de lauriers roses et blancs étaient en fleurs. La mer au loin étincelait. Nous étions bien. Nous ne savions pas trop à quoi nous attendre puisqu’en choisissant l'hôtel 700 000 heures, nous n’avions qu’un seul souhait : être surpris.

plat de pâtes dans les pouilles

On aurait pu arriver directement au Palazzo Daniele, le palais XIXème dans lequel le maître de cérémonie a posé ses malles du 6 septembre jusqu’au 5 novembre 2018, mais pour nous surprendre et surtout nous faire plaisir, Thierry en a décidé autrement. Apéro first suivi du check-in. Et pourquoi pas ? “J’aime mettre en scène chaque moment de la journée. Je suis en recherche permanente et je mets tout en œuvre pour que la semaine de vacances de mes hôtes soit absolument inoubliable. Je veux qu’ils en rêvent avant et qu’ensuite ils en chérissent le souvenir”. En créant 700 000 heures Thierry Teyssier, bon vivant – flamboyant –, baroudeur dont la réputation en matière d’hôtellerie n’est plus à faire, vient de lancer son tout nouveau concept de voyage : le premier hôtel itinérant au monde. Lassé de l’hôtellerie traditionnelle, il avait déjà créé le concept du Dar Ahlam, au Maroc : un itinéraire en plusieurs étapes à l'extrême sud du pays, jalonné de somptueuses mises en scène – un campement improvisé près d'un oued, une nuit insolite dans une magnifique casbah abandonnée… Des expériences qui marquèrent les esprits et les cœurs de pas mal de voyageurs. Dix-huit ans plus tard, d’autres idées encore plus folles ont fait leur chemin. Après avoir parcouru le monde à la recherche de lieux aussi incroyables que singuliers, c’est ici, dans la région du Salento, à Gagliano del Capo, que Thierry a choisi de faire sa première escale.

 

« Les vacances de mes hôtes doivent être inoubliables. Je veux qu’ils en rêvent avant et qu’ensuite ils en chérissent le souvenir. »

 

En plein cœur de cette petite commune d’environ 5 000 habitants, derrière la porte cochère, on ne se doute pas de la splendeur du bâtiment datant de 1861. Le Palazzo Daniele est encore habité par son propriétaire Francesco Petrucci, qui après avoir vécu partout dans le monde, a décidé de se retirer (à 30 ans) dans la maison familiale construite par les grands-parents de son grand-père maternel pour y organiser un Festival d’art contemporain, Capo d’Arte, et de l’ouvrir à une résidence d’artistes, aujourd’hui annexe de la villa Médicis. “Deux artistes de la Villa viennent ici en résidence pendant un mois laissant au passage des œuvres comme celles de Nicolas Party, Mohamed Namou, Tea Jorjadze, Roberto Cuoghi ou encore Nicola Martini”, évoque le jeune homme. Après avoir racheté une aile, puis l’autre, il s’attaque – avec l’architecte Ludovica Serafini (studio Palomba Serafini Associati) – à la rénovation du lieu, avec la volonté de rendre cet endroit contemporain, tout en gardant son esprit, son goût, sa mémoire et son passé. “On a vidé la partie historiquement habitée, qui était surchargée et sur-meublée. Les quatre canapés, les douze fauteuils, les quatre consoles, les quatre appliques et quatre rideaux sont partis. On a vidé les salons et les chambres pour mettre en avant la sacralité de cette absence, la sacralité de cet espace majestueux vide pour faire ressortir son histoire”, insiste Francesco Petrucci, en s’extasiant sur les fresques centenaires et les mosaïques au sol parfaitement restaurées. Thierry cherchait une maison dans la région et il est arrivé chez moi. Puisque je m’intéresse beaucoup au concept de l’éphémère, nous nous sommes tout de suite bien entendus, et il a décidé de me la louer pour deux mois pour ses hôtes de 700 000 heures”. Et voilà comment ce petit monde cohabite depuis quelques jours.

bateau dans les pouilles

Thierry, sa centaine de malles, son équipe de cinq personnes venues de Paris, des locaux et des réfugiés arrivés sur la côté Sud, pour s’occuper de la maison et des clients. “Nous passons en moyenne 700 000 heures sur Terre. Ce temps est précieux. Trop précieux pour le laisser juste passer. J’ai décidé de devenir nomade et d'accompagner mes clients étape par étape”. Ces heures passées ensemble sont rythmées de moments d’une grande simplicité et d’autres moments plus sophistiqués. 700 000 heures à Salento, c’est aussi bien avoir la chance de discuter des heures entières dans la cuisine avec Rosa Vanina que de se retrouver un beau matin dans une grotte avec les malles, parce que Thierry nous a mis dans la tête qu’il valait mieux assister au lever de soleil que de dormir quelques heures de plus. 700 000 heures c’est partager le quotidien des gens du coin mais aussi vivre des moments d’aventure forte et avoir la possibilité d’accéder à des spots qu’aucun touriste n’aurait pu trouver sans la connaissance des lieux et les conseils de Thierry Teyssier. Agréable aussi, l’impression que rien ne soit calculé, préparé, organisé et prévu. L’imprévu (orchestré cependant pendant des mois) efface le côté formaté et conceptualisé de l’hôtellerie actuelle. Alors que les hôtels expérientiels fleurissent à tour de bras, Thierry Teyssier a un train d’avance.

 

douches dans les pouilles

 

C’est fluide, ça roule, ça fait pas de manières et on ne vous vend pas des excursions ou activités exceptionnelles pour meubler votre séjour à tout prix. 700 000 heures est plus subtile : assister à la livraison des fruits et légumes rapportés de chez les petits producteurs locaux par Giuseppe semble être un privilège immense, qu’on nous envoie boire notre café en face avec les hommes du village en lunettes de soleil à 8 heures du matin plutôt que de dérouler le buffet du petit-déjeuner dans notre chambre devient soudain la meilleure idée du monde. “Pourquoi faire notre café nous mêmes, alors qu’il est meilleur en face ?” Bien vu Thierry. Et puis un beau matin sans nous prévenir, ce sera pêches grillées au four, granola et brioche maison sur le toit-terrasse du palais au son des cloches de l’église. Accompagner Rosa au petit matin pour une cueillette de plantes et les retrouver dans son assiette au déjeuner. Avoir son portrait croqué par Elena Costa, une jeune artiste peintre parfois de passage dans la maison mais aussi apprendre à faire les orecchiette avec Giuseppina sur la table en marbre à l’ombre sous la pergola ou se faire prêter les clefs de la Vespa pour aller s’acheter une glace. Plein de menus plaisirs et belles attentions aujourd’hui disparus.

 

« L’air était chaud. Les buissons de lauriers roses et blancs étaient en fleurs. La mer au loin étincelait. Nous étions bien. »

 

Au programme aussi, une sortie en mer avec Rocco et son fils Giuseppe, tous les deux pêcheurs. Sur le bateau qui porte le nom de Francesca, ils plongent à la chasse aux oursins, vous font découvrir la recette des frises (petits pains secs traditionnellement trempés dans l’eau de mer pendant six secondes puis grattés avec des tomates avec un filet d’huile d’olive) jusqu’à ce que Thierry dégaine sa malle pique-nique, ses sets en lin et la bonne bouteille de vin. Et puis sur le chemin du retour, c’est un goûter digne de celui des grandsparents qui vous attend dans un champ d’oliviers. Angelo et Souleiman sont arrivés en amont, ont étudié le terrain, déployés les malles, démoulés les cakes pour nous surprendre encore et toujours face à la mer. Souleiman arrivé de Guinée, travaille maintenant chez 700 000 heures. Il apprend le métier de cette hôtellerie attentive et originale. Lorsque les convives débarquent dans les champs, ils photographient ces gâteaux émerveillés. Sous les oliviers. Face à la mer. Prochaine escale, le Cambodge.

pique-nique dans les pouilles

 

Par

DAPHNÉ HÉZARD

 

Photographies

VINCENT LEROUX