Espagne

Les Asturies, un secret d’Espagne

Les Asturies, un secret d’Espagne

Si discrète, tellement sincère. Pour un peu, cette principauté du nord de l’Espagne illustrerait l’adage "pour vivre heureux, vivons cachés". Gagné. Le charme, la sérénité, le bien-être, passent ici pour des évidences. La démonstration ? Montagne et océan réconciliés, culture millénaire revendiquée, art de vivre soigneusement cultivé. Le tout, avec simplicité, sans frime ni chichi. C’est la recette du bonheur en Asturies.

 

Surprise. Chaque été, le programme du Festival interceltique de Lorient désigne au moins un artiste venu des Asturies. C’est que ce mini-territoire de 10 000 km² où vit un gros million d’habitants a de la mémoire. Il revendique fièrement ses racines celtes plantées des siècles durant par mille marins audacieux. Hissant haut d’Irlande aux Asturies en passant par la Bretagne et les Cornouailles, ils composèrent cet arc atlantique qui aime fraterniser à coup de chansons et de cornemuse à trois pipes (la gaïta, une solide tradition asturienne) sur les scènes de Lorient. Partout, une multitude de croix taillées dans le granite, le respect pour l’ardeur des pêcheurs et le plaisir de trinquer au cidre en témoignent.

Pont dans les Asturies

gemstock/stock.adobe.com

 

Mer et montagne

Sans doute faut-il voir dans cette reconnaissance artistique frappée de celtitude le pendant de l’ignorance que le monde des vacanciers manifeste pour les Asturies. D’autres principautés d’Europe tirent joliment parti de ce statut propre à exalter l’imaginaire. Pas les Asturies dont pourtant l’actuelle princesse n’est autre que Leonor de Bourbon y Ortiz, fille du roi Felipe et de Letizia (née ici-même à Oviedo), petite-fille de Juan Carlos. A bientôt 15 ans, elle est par ailleurs héritière du trône d’Espagne. La classe.

Bien loin des ors madrilènes, la région bordée d’est en ouest par la Cantabrie, la Castille et Leon ainsi que la Galice, sans oublier l’Atlantique au nord, sur 400 kilomètres ponctués de 200 plages et d’une vingtaine de villages côtiers de toute authenticité, les Asturies gardent la tête claire. Ici, on aime l’âme paysanne et les capitaines taiseux, selon qu’on veille sur le troupeau ou qu’on scrute les vents du large. Cette ambivalence, mer et montagne, population d’agriculteurs et de navigateurs, gens d’en haut ou d’en bas, ne génère pas le moindre conflit. Au contraire, la voici source de partage, de complémentarité, d’unité.

Berger dans les Asturies

Fluse/Fotolia

 

Un retable unique

Le voyageur passe facilement d’un univers à l’autre, en une même journée, et c’est magique. Les trois principales villes asturiennes, Oviedo, la capitale (220 000 habitants et un aéroport relié à la France), Gijon, prononcer Xixon (Chichon), c’est plus simple, 273 000 habitants, et Avilés, 85 000 âmes, ne sont chacune distantes que d’une trentaine de minutes de route. Pareillement, il faut moins d’une heure pour rallier les jolies plages (Poo, en particulier) qui bordent Llanes, charmant petit port de pêche dont la jetée aligne des blocs de béton peints, oui, oui, une œuvre d’art, avec les sentiers de randonnée du Parc national des Pics d’Europe, une merveille que domine le Torre Ceredo, 2 648 mètres d’altitude.

Les branchés histoire se retrouvent dans le centre-ville piétonnier d’Oviedo, dessiné autour de sa somptueuse cathédrale San Salvador, un modèle d’architecture du gothique flamboyant. Elle est dotée d’un exceptionnel retable en bois sculpté de 16 mètres de hauteur ! Se tordre le cou pour suivre la vie du Christ polychrome pardonne tous les pêchers. Puis, ici comme ailleurs, admirer de somptueuses maisons baptisées "villas de los Indianos", propriétés des enfants de la région partis chercher fortune en Amérique du Sud, au Mexique et à Cuba. Certains sont revenus, affichant leur réussite avec des habitations dignes de leur nouveau rang. Grandioses, souvent délirantes, elles sont plantées partout, à Llanes comme à Colombres, Somao, Luarca…

Village des Asturies

Celiaaa/Getty Images/iStockphoto

 

Sept réserves de la biosphère

Pour les amateurs de voile, pas d’hésitation, Gijon s’impose. Sa marina de 780 anneaux accueille régulièrement la Solitaire du Figaro comme d’autres courses transocéaniques. Pousser les portes du club royal dont le roi Juan Carlos fut le premier membre, puis respirer l’air du large ou se laisser tenter par les bateaux à louer… Dans un esprit voisin, pratiquer sans retenue la Route des phares, une originalité locale. Elle réunit une dizaine de sentinelles postées à Tapia de Casariego, Ortigueira, Candas, Tazones, Llastres, Llanes, etc., en passant par les plus beaux villages de la région (Cudillero, Santillana del Mar, en particulier) et autant de ports miniatures pas peu fiers de leurs habitants aux visages burinés et de leurs barcasses défraîchies. Le déjeuner en terrasse témoignera de l’excellence des prises.

Le vert a aussi de quoi convaincre. VTT, randonnée pédestre autant qu’équestre, canyoning, escalade, observation des oiseaux, pêche, c’est au choix. A l’intérieur des terres, les Asturies comptent sept réserves de la biosphère et six parcs naturels, tous labelisés par l’UNESCO, c’est dire. Le long de centaines de kilomètres de sentes balisées (dont el Camino del Norte, un itinéraire pour Saint-Jacques de Compostelle), la nature s’offre sur un écran géant que traverse l’aigle royal, le cerf ou l’ours brun.

Vue de Llanes

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Le cidre en vedette

Quant aux gourmands, ils trouvent leur bonheur sur toutes les terrasses du pays, façon plaisir vert ou enchantement bleu. Le bon accueil est un mantra local, la simplicité aussi. Sans parler des recettes de grand-mère pour mijoter le fabada, variante de cassoulet agrémenté des charcuteries locales, griller les poissons (merlu, thon), servir oursins et araignées de mer (les spécialités asturiennes) ainsi que les cinquante variétés de fromages que produit la région. Addition XXS, service tout sourire compris.

Enfin, prière de sacrifier au rite du cidre, il se perd dans la nuit des temps. Opter pour la bouteille, le serveur la tient alors très haut, loin du verre dont il ne rate jamais le col, en faisant mousser le liquide doré. Ou préférer el culete, le "petit cul", hop, deux gorgées et recommander. Pour parfaire ses connaissances, suivre la Route du cidre (Bimenes, Cabranes, Nava, Colunga…) qui, de la pommeraie aux pressoirs et à la dégustation rend incollable sur la boisson qui accompagne toutes les soirées à refaire le monde. Attention, il serait indélicat de laisser quelques larmes au fond du verre en commandant la tournée suivante. Faire preuve d’éducation en les jetant comme tout le monde directement sur le sol. Plusieurs grandes fêtes du cidre sont au programme chaque été, à Gijon, Nava et ailleurs.

Port de Lluarca

Argonautis/Fotolia

Pour l’anecdote, la reine des boissons asturiennes génère une rumeur tenace. Il se murmure que l’enfant du pays, Fernando Alonso, né à Oviedo en 1981, 32 victoires en F1 et deux titres de Champion du Monde au compteur, aurait mille fois demandé un magnum de cidre (à la place d’une boisson pétillante d’origine française) lorsqu’il grimpait sur le podium. On dit aussi qu’au Mans ou à Indianapolis, il ne désespèrerait pas que soit un jour célébrée sa fierté asturienne. Tchin !

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographie de couverture : Miguel G. Saavedra/Fotolia