Jamaïque

Le dernier empereur de Jamaique

Le dernier empereur de Jamaique

Voyage “rasta chic” en Jamaïque sur les terres de l’empereur de la musique Chris Blackwell, fondateur d’Island Records et heureux propriétaire de quatre adresses confidentielles à l’atmosphère patinée par le temps et les légendes.

Aéroport de Kingston. Jamaïque. Le soleil brûle le tarmac. Affiché sur tous les murs, le slogan “Welcome to Jamaica, be extraordinary” encense les sens. Tout est plus intense sur une île et bien plus en Jamaïque où l’extraordinaire est l’ordinaire. Ici, les légendes insulaires transcendent les frontières pour devenir universelles : Bob Marley, Jimmy Cliff, Burning Spear, Peter Tosh, Bunny Wailer, U-Roy… Le reggae a insufflé au monde un nouveau rythme. Nos cœurs ne sont plus les mêmes après les prêches de Jah Rastafari. La Jamaïque révolutionne l’esprit du monde et c’est ce pouls de liberté qu’injecte sur l’île Chris Blackwell, le mythique fondateur en 1959 du label Island Records vendu à la fin des années quatre vingt à Polygram avant de rejoindre le groupe Universal Music. Producteur de Bob Marley and the Wailers, U2, Grace Jones, Roxy Music, Cat Stevens, Brian Eno, Sparks, Marianne Faithfull, The Cranberries, Chris Blackwell est l’empereur d’une musique planétaire. Il est aussi l’heureux propriétaire de quatre paradis terrestres, hôtels et villas confidentiels, disséminés aux quatre coins de “son” île, rassemblés sous le label Island Outpost.

C’est sur cette baie devenue

légendaire, que Ian Flemming  construisit sa villa de rêve

en 1946, à Golden Eye.

Il m’enlace en hugsfraternels sur les rives de la baie d’Oracabessa, son éden. Réminiscences de bains de mer avec sa mère dans les années cinquante et soixante, accompagnée de Katharine Hepburn, Laurence Olivier, Sean Connery, Elizabeth Taylor et Richard Burton… Puis avec Bono, Keith Richards, Dennis Hopper, Quincy Jones, Johnny Deep ou Sting et tant d’autres étoiles. C’est sur cette baie devenue légendaire, que le célébrissime Ian Flemming construisit sa villa de rêve en 1946, Golden Eye, une terre achetée à la mère de Chris Blackwell, Blanche Lindo. D’une élégance et d’une beauté absolue, Blanche ensorcela le dramaturge britannique Noël Coward résidant à deux pas puis devint la muse et grand amour du créateur de James Bond.

Le personnage Pussy Galore de Goldfinger, c’est donc Blanche Lindo. Toute la série des “007” fut rédigée sur ce lagon idyllique et “Doctor No” y fut même tourné en 1962, avec Chris Blackwell en jeune assistant de production. Flashback sur un Sean Connery médusé par Ursula Andress. L’île envoûte. Plus tard, en 1976, Chris Blackwell et Bob Marley rachètent cet éden. Et que ce soit à Golden Eye, mais aussi à The Caves au bord des eaux turquoise de Negrill, à Strawberry Hill sur les hauteurs des Blue Mountains, ou encore au cœur de Pantre Pant, sa ferme organique auto suffisante, plantée de caféiers centenaires et d’un gigantesque guango tree, partout sur ses différentes propriétés émane une aura mystique. Nous sommes en territoire sacré et la “ganja”, calumet initiatique, libère les esprits. Blackwell se livre, patient et clairvoyant. Son phrasé est nonchalant, jazzy et humble comme tous les grands. C’est un faiseur plutôt qu’un parleur. Ses yeux bleus translucides électrocutent le monde. Son “moto” ? “Do your best in whatever you take on and keep your word” (“faites de votre mieux et tenez parole”). Bob Marley l’appelait son traducteur. C’est d’ailleurs sur les pistes de ses studios d’enregistrement pour Island Records que Chris excellait en transcendant le talent brut de ses artistes. “Catch a Fire” le premier album avec Bob Marley & les Wailers en 1973 en est la quintessence.

Ici vous vivez grandeur  nature les rythmes de reggae, ska, jazz, blues, rock, mixés aux chants d’oiseaux improbables des jungles environnantes, au souffle des cascades et de l’océan et aux parfums divins de la cuisine locale.

Visionnaire instinctif, businessman ou vieux sage, Blackwell est un totem que l’on vénère. Sa vie serait un blockbuster. Avis aux producteurs. Rapide travelling arrière sur le destin de ce corsaire, car tout a déjà été écrit, dit, clamé, voire inventé sur sa carrière. S’envoler vers ses résidences Island Outpost vaut d’ailleurs toutes les biographies. Car ici vous vivez grandeur nature les rythmes de reggae, ska, jazz, blues, rock, et autre titres préférés de notre hôte, mixé aux chants d’oiseaux improbables des jungles environnantes, au souffle des cascades et de l’océan, aux parfums divins de la cuisine locale. La vie de Chris Blackwell ne se lit pas, elle se vit. Chris insiste : “ Sans la Jamaïque, je n’existe pas.” Son île est son essence organique et spirituelle, mais aussi un combat pour l’abolition de la ségrégation entre les ghettos et l’aristocratie jamaïcaine dont il est issu. C’est cette révolution qu’il mènera avec Bob Marley et ses messages de paix, d’unité, de respect, de rédemption, de liberté et de justice.

One Love / One Heart

Let’s get together and feel all right

I’m pleadin’ to mankind (one love)

Oh, Lord (one heart) wo-ooh

En signant U2 ou Cat Stevens, Chris Blackwell exacerbera toujours le pouvoir shamanique de la musique et de ses messages politiques, sociaux, spirituels et écologiques. D’ailleurs quand je lui demande quel est son héros, hormis Steve Jobs qu’il admire, il répond Martin Luther King, son idole, ou encore Bob Dylan, Miles Davis, et bien sûr Bob Marley. Pousser les limites de la musique vers un pouvoir messianique devient la signature Blackwell, outre ses productions plus pop avec le rock anglais. Les films qu’il produit comme The harder they come avec Jimmy Cliff, réalisé par son ami Perry Henzel, ou le cultissime Countryman transpirent aussi de cette “jamaïcanité” rebelle. Son ultime combat ? La terre mère, notre planète : “Nous vivons majoritairement au cœur de villes et perdons de plus en plus le contact avec la nature. Nous nous sommes détachés d’un destin commun et c’est une grave erreur. L’humanité assassine sa planète merveilleuse. Agissons avant qu’il ne soit trop tard.” Pour cela, il fonde une pléiade de projets philanthropiques, auxquels participe son gang “d’happy fews” et de clients amis de sa collection Island Outpost. Des projets locaux pour une pensée globale. Plantations d’arbres, programmes sanitaires, engagements sociaux éducatifs pour la communauté, événements sportifs, festivals de cinéma, cuisine, musique... Son but ? Renforcer la création et l’implication locale pour des actions internationales.

Né à Londres le 22 juin 1937 d’un père militaire businessman irlandais Joseph Blackwell et d’une mère blanche de la haute société jamaïcaine, Blanche Lindo, Blackwell le métisse a su vagabonder entre ses deux mondes avec l’aisance d’un félin, à l’image du lion conquérant éthiopien Haïlé Sélassié. Jeunesse entre Londres, la Jamaïque (dans la somptueuse villa familiale Bolt House à la découverte des ghettos et villages de pêcheurs rastafari) puis Harrow School en Angleterre. Son père épris de musique classique lui inocule le virus du son virtuose et des affaires, quand sa mère l’initie à la jet-set et l’amour de sa terre ancestrale, et Ian Flemming, au sens de l’aventure. Blackwell est une île, un patrimoine universel. Ce soir, au coucher du soleil, dans les volutes d’une ganja rituelle partagée, on imagine l’épopée de ce beau jeune homme vendant des disques jamaïcains extravagants à l’arrière de sa voiture à Londres, produire un premier album jazz avec le pianiste bermudien Lance Haywood avant de lancer son premier hit en 1956, la reprise de “My Boy Lollypop” de Barbie Gaye, interprétée par la toute jeune jamaïcaine Millie Small et vendu à plus de six millions d’exemplaires... Il signe ensuite le premier grand contrat avec Stevie Winwood et son groupe Spencer Davis qui deviendra plus tard Traffic projeté sur orbite avec le culte “Keep on running”... La suite appartient à l’histoire.

Grace Jones et Keith Richards nous rejoignent en voisins, Naomi Campbell appelle Chris son parrain... Magie des Caraïbes. Après nos sessions de kayak de mer, de “paddle” et de yoga, les effluves du rhum jamaïcain de Chris, le Blackwell Black Gold, jus de canne à sucre qui coule dans les veines des planteurs depuis plus de quatre siècles, invitent à la méditation, avant le dernier plongeon dans l’émeraude de la baie d’Oracabessa, au son de son titre préféré “So much trouble in the world” de Bob Marley. “Keep on running... Everything gonna be allright”.

 

 

Carnet de route

Séjourner

Outpost Island : la jolie collection de Chris Blackwell compte quatre adresses.

Golden Eyen : L’hôtel constitué d’une dizaine de chambres, de cottages et d’une villa borde lagon et plage de la baie d’Oracabessa. Il possède également un spa, deux restaurants. À 20 minutes d’Ocho Rios.  À partir de 690 € la nuit en cottage double.  Réserver également à Stawberry Hill, The Caves,   The Fleming Villa.

 

Visiter

FireFly : villa du dramaturge britannique Noël Coward devenue un musée. Vue panoramique fulgurante sur  la Baie d’Oracabessa. www.firefly-jamaica.com

Nyam Jam Festival : Chris Blackwell organise son festival de musique et de gastronomie à Golden Eye.  La première édition a eu lieu en novembre 2015.  Le meilleur de la street food et de la performance musicale.

Et aussi : le dimanche, participer aux messes dans les églises des villages, au-delà de la foi, des gospels et groupes de musiques fantastiques, des rencontres intenses.

 

Lire

Island in the Sun, d’Alec Waugh, le titre inspira le nom d’Island Records. Tous les ouvrages de Ian Flemming.

Pantre Pant Farm &  son gigantesque arbre “guango” (Samanea Saman). Photo dessous, vue & plongeon  des bungalows lagune à Golden Eye.

 

 

récit

ALINE COQUELLE