Espagne

Ça balance pas mal à Valence

Ça balance pas mal à Valence

La troisième ville d’Espagne est double. Plus que millénaire ici, dernier-cri là-bas, maritime autant que terrienne, souvent au bord de la faillite mais toujours prête à faire la fête. Découverte.

 

Il y avait foule ce soir-là sur les placettes qui entourent la cathédrale. Pardi, le Valencia CF venait de battre l'autre club valencien, le Levante UD, 3-1. De quoi faire oublier la raclée prise face aux stars du Real, 4-1, deux semaines plus tôt. Alors, à ce moment-là, tout le monde se footait bien de la crise, des loyers qui s’envolent, du boulot qu’on ne trouve plus, des moqueries venues du Santiago Bernabéu de Madrid ou du Camp Nou de Barcelone, les éternelles rivales. Sur le terrain comme dans la vie, on était juste noir et blanc, le maillot du club, frappé d’un écusson sang et or posé sur le cœur. Viva Valencia pour tout le monde, filles et garçons, jeunots et tignasses argentées, nantis et sans trop le sou. Sang chaud, peut-être, mais coude à coude et solidaires comme jamais et vous le sentirez pendant votre voyage à Valence.

Vendeur de jambon espagnol à Valence

Deux fois par mois, les soirs de match à domicile sur la pelouse du stade Mestalla, ainsi bat le cœur de cette ville (800 000 habitants, le double pour l’agglomération), posée pieds dans l’eau au centre de l’Espagne. Elle est à égale distance de Barcelone plein nord comme de Madrid dans les terres, 350 km environ. Les Baléares flottent juste en face. C’est dire qu’ici, on est short, espadrilles et chemisette plus de 300 jours par an. D’autant que l’appel des plages est irrésistible. Immenses, Malvarrosa, Las Arenas et El Cabanal, elles bordent la ville, sans oublier les sanctuaires nature, dunes, oiseaux migrateurs et herbes folles, qui déroulent leur tapis de sable doré le long des côtes alentours. Pour ajouter au plaisir du transat, les premières sont bordées de guinguettes à l’invariable tempo festif. Paëlla, s’il vous plait ! C’est ici que ce mythe de la cuisine espagnole aurait été touillé pour la première fois, un jour de retour de pêche. C’était dans la nuit des temps, forcément.

 

Le Cid, en héros

Car au rayon des siècles qui filent, la belle a du bagage. Valencia a été fondée par les Romains en 138 avant J.-C. Sa position grand écran sur les bleus et le commerce de la Méditerranée imposait son rang. Elle en fut toujours digne, que ce soit sous l’autorité des légions, avec les prêtres de la maison d’Espagne, au temps des envoyés de l’islam (cinq siècles, du VIIIème au XIIIème) chassés par un certain Rodrigo Diaz de Vivar, plus connu comme Le Cid, époux de la délicieuse Chimène, et même avec les troupes françaises de Suchet qui s’en empara le 9 janvier 1812. A l’aune de ces 2 157 années, on serait tenté de déduire que Valencia est immortelle car elle en a vu d’autres.

Architecture à Valence en Espagne

Au moins garde-t-elle un si solide ancrage dans le temps que les siècles défilent sans beaucoup l’altérer. A commencer par sa cathédrale Sainte-Marie. Elle a été construite sur un promontoire à partir de 1262 (Le Cid, toujours…) à la place de la mosquée édifiée par les occupants, elle-même en lieu et place d’un temple romain… Cette colline qui domine la ville inspire les maîtres bâtisseurs. Au passage, le clocher du monument rappellerait bien par sa forme carrée certains minarets. La lumière est universelle. Alors courage, le sommet de la tour aux cloches est accessibles au bout de 207 marches en colimaçon. La récompense aussi : une vue imprenable sur la ville, ses faubourgs, les champs de fruits et légumes, la mer, à 51 mètres de hauteur. Une fois redescendu, profiter du site pour admirer les portes ouvragées de cette merveille d’architecture gothique ici, romane là-bas, se recueillir devant les toiles de Goya ou des élèves de Leonard de Vinci ainsi qu’à la vue de cette coupe d’albâtre qui, selon les versions, serait le calice de la Cène ou encore celle qui recueillit le sang du Christ sur la croix. Rien de moins.

 

Une des villes les plus sûres d’Espagne

Cette cathédrale justifie à elle seul le week-end. Elle domine évidemment le cœur de la vieille ville, celle dont on admire les façades anciennes, les balcons de fer forgé, les sculptures, les bancs de pierre et les ruelles étroites dont s’emparent les bars à tapas, les restaurants aux saveurs du jour et les terrasses où refaire le monde jusqu’au bout de la nuit. Comme on ne passe jamais à table avant 22h30, sauf à vouloir être le seul client de la maison, c’est assez simple. Et serein. Valencia est considérée comme une des villes les plus sûres d’Espagne. Non sans humour, un indice de la délinquance lui attribue la mention « très haute » pour deux cas, la corruption et la sécurité à marcher seul dans la nuit.

Rue de Valence (Espagne) la nuit

Autre visite obligée, celle du marché central, au moins 400 étals de fraîcheur installés sous une immense halle façon Baltard avec une impressionnante coupole centrale, un régal pour le regard autant que pour les papilles. Enfin, direction la Lonja de la seda, la Bourse de la soie dont les origines remontent au XVème siècle. Le bâtiment, massif, est remarquablement conservé. Tout de pierres sculptées, il en impose par ses plafonds à caissons, ses épaisses murailles, ses escaliers, les 24 élégantes colonnes de sa grande salle, là où poignée de mains valait contrat. Ici, Valencia était riche, savante, conquérante. Aujourd’hui encore, elle garde de ce passé la belle réputation de ses tailleurs et modistes pour le travail de la soie.

 

Elégance enchanteresse

Avant, après, cap sur la longue promenade verte, 8 km de longueur. Elle occupe le lit de la Turia, le fleuve qui déborda dans les années soixante et inspira cette divine coulée. Arborée, fleurie, aménagées de placettes, de bancs et de statues, griffée de sentiers pour joggeurs, amoureux, siesteux et mamans à poussette, elle multiplie les bonheurs. Encore plus lorsqu’à son terme, elle déboule sur le quartier de bord de mer, droit inspiré d’une planche de science-fiction. Cette enclave futuriste est née lorsque Valencia se sentait pousser des ailes. Grand Prix de F1, opéra, America’s Cup, musée, aquarium géant… Rien n’était assez beau pour elle. Alors, quitte à rêver grand, autant faire appel à des géants. Santiago Calatrava, l’architecte roi du béton blanc a été chargé d’imaginer l’ensemble de ce quartier du troisième millénaire qui butte sur la Méditerranée. Histoire d’enrichir l’imaginaire, il a convié ses amis  Ricardo Bofill, Jean Nouvel et Felix Candela. Résultat, des perspectives bluffantes, des façades éblouissantes, des volumes grandioses, une élégance enchanteresse. L’ensemble abrite Oceanogràfic, le plus grand centre du genre en Europe, un lac, des centaines de bassins, 45 000 habitants de la mer, des crocodiles et des pingouins, un spectacle de dauphins… A côté, voici Hemisféric, le planétarium géant et l’immense salle de cinéma en 3D. Et puis aussi, le musée des sciences, on dirait un squelette, la signature de Calatrava, le palais des arts où réside l’opéra de Valencia à côté d’un jardin suspendu… Valencia demain, c’est ici.

Élégance de la ville de Valence en Espagne

Un jour sans doute, les supporteurs de l’équipe de foot se réuniront sur ces vastes esplanades bordées de guinguettes joyeuses, lors d’un titre, d’une victoire contre le Real ou le Barça... Ce sera au moins le 21 mai 2019, lorsque le club célèbrera ses 100 ans. Plus de 21 siècles d’histoire méritent bien une petite fête. Promis, elle sera grandiose.

 

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographies

MIQUEL GONZALEZ/LAIF-REA