Espagne

Baléares, l’archipel revisité

Baléares, l’archipel revisité

Stigmatisé depuis des décennies par un tourisme de masse, souvent réduit à la réputation festive de l’une de ses 4 îles principales, cet archipel purement méditerranéen dévoile aujourd’hui un autre visage.

 

IBIZA, L’AUTRE FACETTE

L’image lui colle à la peau comme un mauvais tatouage. Ibiza : grain de beauté méditerranéen et paradis (artificiel ?) pour des millions de noctambules qui, de mi-mai à début octobre, se déchaînent du lever au couchant sous la voûte electro-céleste. Une autre planète sur laquelle on débarque dès l’aéroport d’Eivissa désormais équipé d’un dancefloor. Pourtant, si ces visiteurs-là vouent un culte à David Guetta tel les Phéniciens à Bès (dieu jovial et protecteur à qui ils dédièrent cette île d’Ibosim sept siècles avant Jésus-Christ), Ibiza révèle bien d’autres facettes.

Couple sur une plage d'Ibiza

Vincent Mercier

Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO pour son patrimoine culturel et sa biodiversité (au même titre que Formentera, sa petite sœur du sud) l’île Blanche propose d’oublier un instant la frénésie et le béton de playa d’en Bossa, les BPM du Pacha et du Space. Effacer l’ardoise des soirées à quatre zéros et filer au nord. Là-haut (à 20 km seulement), passé Santa Eulària, le cœur de l’île bât à rythme doux. Posées à travers des bouquets d’oliviers et d’amandiers, sur une terre cramoisie : des fincas blanchies à la chaux, des villages agricoles du XIVe siècle, longtemps habitués à vivre en autarcie qui se contentent souvent d’une église, quelques commerces, et une poignée d’âmes ibicencas. Puis glisser à l’ouest, passant par un vignoble bio de San Antonio, avant de piquer une dernière tête dans l’émeraude de cala Tarida. Alors seulement, rejoindre l’embarquement sans passer par la case club. 

 

MAJORQUE, COTE CULTURELLE

C’est l’immeuble qui cache la montagne. Un club hôtel de cinq étages surplombant une marée de parasols échoués sur une anse certes exceptionnelle mais bondée. Majorque, poumon économique de l’archipel, assisté au tourisme de masse, souffre des complexes de ses côtes sud et est. Zombies hôteliers des années 80, alimentés chaque été par plus de 10 millions de visiteurs allemands, anglais, hollandais, français. Pourtant, l’île principale des Baléares (6 fois plus grande qu’Ibiza), réserve aux vaillants combattants de l’agoraphobie bien des trésors. Historiques d’abord, vestiges des civilisations : mégalithique, romaine, vandale, byzantine et hispano-mauresque qui l’ont traversée avant la Reconquête catholique par les rois d’Aragon.

Cathédrale de Palma de Majorque

 Lorenzo Moscia/ARCHIVOLATINO-REA

Premier plongeon médiéval dans les ruelles pavées de Palma et devant sa cathédrale aux élans gothiques. Majorque conjugue également la culture au présent. Une multitude de musées dont la fondation Pilar et Joan Miró ou encore Can Prunera, un musée Art Nouveau implanté récemment au cœur de la Sierra de Tramuntana, à Soller. Une porte d’entrée idéale pour explorer cette sublime région montagneuse bordant la côte ouest. De Vallemosa, village perché qui abrita Sand et Chopin l’espace d’un hiver, à Deià, refuge bohème et paillote pieds dans l’eau, jusqu’à Pollença à l’accent arabo-andalou : un voyage ponctué de nuits en mas, monastères et couvents réhabilités. Une nouvelle vision de Majorque.

 

MINORQUE, L’IRRESISTIBLE

À l’ombre de ses pinèdes et des projecteurs braqués sur ses deux voisines, Minorque (la petite en comparaison à Majorque) brille discrètement. Fière comme ses chevaux sauvages, à la robe aussi noire que les criques sont blanches, aussi racés que le café servi en terrasse de la plaça des Born, à Ciutadella. Le chef-lieu de l’ouest perpétue d’ailleurs chaque année à la Saint-Jean, une surprenante tradition médiévale autour du pur-sang local.

Alaior

Rula/Fotolia

Ancrée dans sa ruralité, Minorque a su se préserver d’un développement anarchique. Ainsi, une seule route traverse l’île jusqu’à l’autre extrémité, à peine 50 kilomètres plus à l’est. Port-Mahon, point stratégique des conquêtes navales méditerranéennes, garde lui aussi sous sa forteresse et à travers les ruelles accrochées au-dessus de la rade, une atmosphère inimitable. Entre les deux, Minorque étale une nature farouche. Des champs vert tendre encadrés de murets bloquant la tramuntana, ce vent froid et sec de l’hiver, de vastes prairies plantées de citronniers, d’oliviers et de vignes qui déchirent la terre ocre. Puis ça et là, des fermes chaulées et des demeures de maître néoclassiques qui parfois hébergent le voyageur. Enchanté, on rejoint à vélo le marché voisin, pour y déguster robiols (chaussons au thon)  et trampo (salade tomates-poivrons) . Puis cap au nord, vers la réserve ornithologique de S’Albufera des Grau et l’adorable port de poche de Fornells. Enfin crépite l’appel des cigales et des criques cristallines du Sud, auquel on cède irrésistiblement.