Vietnam

A Hoi An, la lune fait danser les lampions

A Hoi An, la lune fait danser les lampions

A une trentaine de kilomètres de Da Nang, au centre du Vietnam, la petite cité classée par l’Unesco depuis 1999 garde cinq siècles d’histoire marchande. En cultivant l’art des lanternes. Magique.

 

Dès l’arrivée dans le pays, prière de se faire plaisir. Changer 100 euros. Recevoir alors 2,4 millions de dongs, la devise vietnamienne. En billets, les pièces n’existent pas. Savourer sans retenue le frisson d’une richesse qu’on rendra vertueuse. Facile avec le repas (divin) payé autour de cinq euros, bière comprise, le vélo loué pour un euro la journée, la robe et la chemise marchandées ensemble à vingt euros. Le sourire est compris.

une femme marche dans les rues de Hoi An

Pourtant, ces agréments ne sont qu’un détail dans le tableau 100% charme de Hoi An, bourgade historique très volontairement restée dans son jus. Posée à l’intérieur des terres, à quelques coups de pédale des plages qui bordent la mer de Chine et à une trentaine de kilomètres de Da Nang, l’aéroport d’accès, elle est devenue l’icône d’un certain « Vietnam d’avant ». Mais attention. Si elle s’était figée dans ses maisonnettes de bois, du jacquier noir particulièrement résistant, elle aurait au mieux acquis le statut de reine de la nostalgique sépia. Son talent et celui de ses 120 000 habitants est d’avoir maintenu mille éclats de vie, aussi pétillante que colorée, et c’est un ravissement de chaque instant. Terrasses miniatures joliment fleuries, maisons de thé ou de café, piano à l’ancienne pour cours de cuisine très moderne et diablement raffinée, boutiques de créateurs, restaurants rivalisant de saveurs, ateliers de peintres, de sculpteurs… Sans oublier l’humour : un bar lounge invite les dames à lui confier leur mari. « Besoin d’être enfin tranquille ? On s’occupera bien de lui, vous pouvez aller faire votre shopping, il vous suffira de payer ses consommations à votre retour ». Noter au passage que chaque maison est connectée et offre le WiFi à ses hôtes. En outre, décision inspirée, les trois ruelles parallèles au fleuve, le long desquelles bat le cœur du vieux Hoi An sont interdites de voiture à partir de 10 heures et jusqu’en soirée. Du coup, on marche d’un pas tranquille, entre vélos, pousse-pousse à touriste et mobylettes qui avancent en mode lenteur tout en jouant de la sonnette.

 

L’équilibre du ying et du yang

Au cœur de cet éventail de petits bonheurs, voici le marché, vrai de vrai. Il se tient chaque matin sous la grande halle. Les pêcheurs y jettent leurs captures de la nuit, du thon ruisselant  à la crevette encore frétillante, à côté des étals tenus par le petit peuple des rizières, chapeau pointu vissé sur la tête, qui dépose fruits et légumes du jardin, pousses de jeune chou, mangues dodues, bananes miniatures à chair rosée, une damnation, patates douces, œufs, gingembre, riz, bien sûr, gerbes de fleurs jaunes, elles appellent le bonheur, et rouge, gloire au Levant, larves de bestioles dans leur cocon à faire revenir au wok, sel et poivre, un délice, parait-il…

deux personnes sur un vélo à Hoi An

Cette joyeuse animation appelle les autres, celles qui rendent Hoi An aussi vivante qu’au temps de sa gloire marchande. C’était au XVIème siècle. La ville s’étend le long du fleuve Thu Bon. Du reste, son plus vieil édifice est un pont-pagode, toujours vaillant. Jeté en 1593, il volait au-dessus des eaux pour relier le quartier des soyeux chinois avec celui des marchands japonais. Le commerce aime la paix. Ces deux communautés créèrent l’architecture typique des 1 107 maisons désormais protégées par l’Unesco : murs de bois, balcon à l’étage, pièces dans un même alignement, toit de tuiles également de bois, alternant concaves et convexes, référence à l’équilibre du ying et du yang. Rien n’est laissé au hasard. Entre deux, une bâtisse en dur décrépie façon vieil Antibes, du temps où les Français appelaient la belle Faifo, et puis quelques temples d’éternelle sagesse qui mettent la ville sous la protection du ciel. Même dans un pays communiste où les citations de l’oncle Ho s’affichent en grand à chaque coin de rue et où le Parti veille au grain pour tous les camarades, on ne sait jamais.

À (ré)écouter − Radio Voyageurs 100% Vietnam

 

Entre la lune et les hommes

Et puis un jour, le fleuve a commencé à s’ensabler. Changement de courants, de vents dominants, de bienveillance céleste. Alors, les bateaux sont partis, préférant Da Nang et son port en eau profonde. Les tisserands aussi, Hoi An s’est assoupie. Elle est sortie de sa torpeur avec les années tourisme, grâce aussi à l’admiration que lui vouèrent sans compter historiens, chercheurs et autres esthètes des temps anciens. Depuis une vingtaine d’année, la voici qui revit de plus belle, surtout qu’elle s’est découvert une vocation à perpétuer l’art des lanternes, une affaire millénaire qui raconte rien moins que l’indéfectible association entre la lune et les hommes.

pécheur au bord de l'eau a Hoi An

La révolution populaire n’en a rien effacé. Ses très ardents militants ne l’ont pas cherché non plus. Alors, le Vietnam continue à célébrer l’astre blanc, celui qui détermine la date des semis, le moment où lancer ses filets, le jour du mariage, celui de la récolte, de la construction de la maison ou de l’achat de la voiture. Chaque village a son devin qui pour quelques billets chiffonnés se fait lecteur averti des mystères de la nuit. Dans chaque maison, à côté du drapeau rouge, trône un autel, hommage aux anciens de la famille auxquels on sert les offrandes qu’exige leur sérénité : une banane, une tasse de café, quelques fleurs, une pile de (faux) dollars à refiler au portier de l’Enfer pour qu’il n’ouvre surtout pas. Et des lanternes de papier. Elles sont de toutes les formes. Rondes, cubiques, longues, énormes ou miniatures, solitaires, en guirlande comme en colonne, façon montgolfière, version cloche ou vasque. Et de toutes les couleurs, vives de préférence. Car elles ont pour mission de faire la fête chaque mois, la nuit de pleine lune, en rallongeant le jour avec une volée d’étoiles multicolores.

 

La flamme confiée au fleuve

Dans la vieille ville de Hoi An, les voici omniprésentes, suspendues aux devantures, aux fenêtres, en travers de la rue, comme une signature, elle est magnifique. Les élégantes en ao dai, la très gracieuse tenue de soie vietnamienne, chasuble vive éventuellement brodée à la maison, par-dessus le pantalon blanc, jouent du selfie en compagnie de leurs copines ou de leur fiancé. Quant aux visiteurs, ils trouvent dans ces lampions qui dansent avec la brise, la carte postale épatante à poster sans délai sur les réseaux sociaux.

deux personnes au bord de l'eau a Hoi An

Sur les quais du fleuve, à deux pas du pont bientôt vieux de cinq siècles et du nouvel ouvrage voisin édifié il y a peu, s’est développé un charmant petit commerce. Le soir, quand s’allument les farandoles de lanternes, encore plus nombreuses le soir de la pleine lune, des mamans expertes en origami plient des coques de papier. Leurs enfants achèvent le travail en déposant une bougie à l’intérieur. Difficile de résister à la tentation. On allume la flamme en faisant un vœu, évidemment. Prière de déposer la petite lumière à la surface du fleuve. Le courant l’éloigne. Promis, quand elle aura disparu dans le lointain des eaux noires, le vœu se réalisera. Là-haut, soudain, la lune ronde semble briller plus fort encore.

 

Par 

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographies

TUUL ET BRUNO MORANDI